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Retour sur le rachat de Chelsea à £2,5B : Décryptage d'une méga-acquisition dans l'univers Football



La vente de Chelsea Football Club en 2022 a marqué un tournant majeur dans l'histoire du football. Dix-neuf ans après son achat pour 140 millions de livres, Roman Abramovitch vend le club de foot anglais pour un montant record de 2,5 milliards de livres au groupe dirigé par Todd Boehly, copropriétaire de l'équipe de baseball des Los Angeles Dodgers. Cette transaction, l'une des plus médiatisées jamais réalisées, n'était pas seulement notable en raison de la renommée du club, mais aussi des circonstances exceptionnelles qui l'ont précédée. En effet, la Premier League anglaise a ordonné à Roman Abramovich, l'ancien propriétaire du club, de céder les commandes de Chelsea et d'accélérer sa vente. Cette décision faisait suite aux sanctions imposées à Abramovich par le gouvernement britannique, en raison de ses liens étroits avec le président russe Vladimir Poutine, identifié comme le principal responsable de l'invasion de l'Ukraine. Dans ce contexte tumultueux, une question se pose : les circonstance politiques de cette vente "forcée" ont-elles eu un impact significatif sur le prix de vente du club ? Alors que nous explorons le Markham model, il est essentiel de comprendre les dynamiques qui ont influencé cette transaction historique.


1. Différence entre un club de foot et une entreprise classique


C’est en pensant les évènements fondateurs du football tel qu’on le connait aujourd’hui que l’on comprend sa mutation. La rémunération des joueurs sanctionnée par la FA « Football Association » 137 ans plus tôt marqua pour beaucoup la genèse du football professionnel. Il a fallu nécessaire dès lors d’entamer une réflexion sur un possible changement du statut juridique des clubs : d’association à celui de société. Dans les Midlands de l’ouest, en Angleterre, le club de Birmingham (anciennement « Small Heath ») fut le premier club à se constituer en société à responsabilité limitée. Dès 1923, la grande majorité des clubs professionnels anglais étaient des sociétés par actions. Ce modèle constitutif reste à ce jour le statu quo du football moderne, les clubs répondant aux mêmes procédures judiciaires et administratives que les sociétés commerciales.


Peut-on en conclure qu’un club de football est une entreprise classique ? Non. Néanmoins, « il doit être géré par les compétences d’un chef d’entreprise » D’après les experts Thierry Lardinoit et Gary Tribou.


S’ouvre alors une discussion autour de la gestion de club. La décision d’investir ou d’acquérir dans/un club de football avait plus une portée symbolique que rationnelle. Il n’était pas rare qu’un homme d’affaires achète le club de sa ville natale dont il regardait les matchs le dimanche pour le sauver de la faillite. Il n’était en aucun cas question de rentabiliser son investissement en attendant un quelconque retour, les clubs étant connus, à l’époque, pour être de terribles gouffres financiers.


L’arrêt Bosman, la création de la Premier League et l’explosion des droits TV agissent comme des catalyseurs économiques et marquent le début de la révolution libérale du football. Les clubs deviennent désormais des machines financières capable d’engendrer des profits substantiels, éveillant ainsi l’intérêt de nombreux acteurs du monde de la finance (Harris, 2012). Ces deux mondes s’enchevêtrent et forment désormais un tout indissociable. De nombreux clubs de PL furent cotés en bourse afin de financier leurs infrastructures en créant les conditions idéales de réussite sur le terrain. La famille Glazer (2005) et plus récemment le fonds d’investissement ALK capital (2020) ont eu recours à des opérations de LBO (« leverage buy-out ») pour acquérir respectivement Manchester United et Burnley.


En un siècle, La rentabilité dans le football, relative à l’obligation de résultats notamment, est devenue un élément cardinal dans la prise de décision d’investissement, et ex post de la viabilité d’un club. En ce sens, un club s’apparente à une entreprise. Il n’empêche que la gestion de l’incertitude est beaucoup plus simple à appréhender et à optimiser dans le monde de l’entreprise que dans l’univers du football. Une entreprise vise à réduire l’incertitude en minimisant le risque d’investissement lié à ses activités, et elle le fait avec rationalité. A la différence, un club doit accepter une part de fatalité inhérente à ce sport.


Même si le coté émotionnel prévaudra toujours sur le côté rationnel, le football étant par essence un sport populaire, un club partage énormément de points communs avec une entreprise. Des valeurs morales à l’image de marque, en passant par la gestion des dettes i.e. structure de financement, aux méthodes de valorisation, la comparaison est loin d’être illégitime.


Ce dernier point fait la transition avec la partie qui suit.


2. Valoriser un club de football : la méthode Markham Multivariate Model


La valorisation est une notion fondamentale de la finance de marché et de la finance d’entreprise. Au cœur de la plupart des opérations de M&A (« Mergers & Acquisitions ») et de PE (« Private Equity »), elle consiste en la détermination de la valeur actuelle d’un actif ou d’une entreprise.


Académiciens et praticiens disposent d’un large éventail d’outils d’évaluation : de la capitalisation boursière à la méthode des flux de trésorerie actualisés (« Discounted Free Cash Flows »), en passant par les comparables boursiers et les précédentes transactions, toutes constituent des techniques dites « traditionnelles » de valorisation.


Néanmoins, lesdites méthodes ne sont pas totalement adaptées lorsqu’il s’agit de valoriser un club de football, et ce pour plusieurs raisons :


  • Rares sont les clubs de foot cotés en bourse en raison des coûts élevés des IPO, de la stagnation et de l'illiquidité des actions (entraînant une mauvaise valorisation), et de l'obligation de divulgation des états financiers qui peut entraver les objectifs stratégiques (20 clubs britanniques étaient listés en 2002, contre 5 en 2013, et aucun aujourd'hui).


  • La méthode des Cash Flows actualisés repose sur l’hypothèse que les projections futures de flux de trésorerie de l’entreprise analysée sont positives (ou plutot leur valeur actuelle nette), or la majorité des clubs de première ligue n’engendraient pas de profit.


Le Markham modèle, théorisé par Tom Markham, est depuis 2012 considéré comme une référence de valorisation dans l’univers de la Première Ligue car l’approche développée est spécifique aux sources de revenus et aux pôles de dépenses d’un club anglais. Il se présente comme suit :




3. Application du model Markham au CFC. (2019)


⚠️ Afin de garantir une évaluation rigoureuse et non altérée par les conséquences économiques de la pandémie, les données financières de 2019 ont été privilégiées (l'année précédant la crise du Covid), malgré la concrétisation du rachat en 2022.


La valorisation d'un club de football est un exercice complexe, mêlant à la fois des éléments tangibles, tels que les revenus et les actifs, et des éléments plus intangibles, tels que la popularité et la performance sportive. Le modèle Markham, conçu spécifiquement pour les clubs de la Premier League, offre une approche structurée pour aborder cette complexité.


Pour Chelsea en 2019, les données se présentent comme suit :



· Revenus : £446 millions

· Actifs nets : £386.566 millions

· Bénéfice net : -£96 millions

· Taux de remplissage du stade : 99,29%

· Ratio salarial : 0,54


En utilisant la formule du modèle Markham :


On obtient une valorisation de Chelsea pour l'année 2019 d'environ £1,203.71 millions (£1.2 milliards). En considérant cette valorisation et le prix de vente associé, le « premium » s’élève à +/- 52%.


En somme, la cession de Chelsea de 2022, survenue dans un climat politique complexe, a soulevé d'importantes questions concernant une éventuelle sous-évaluation. Si le modèle Markham offre une évaluation de £1,2 milliard pour l'année 2019, le montant réel de la transaction s'élève à près au double. Cette différence suggère que, malgré les circonstances politiques, les acheteurs voyaient en Chelsea une valeur qui transcende les simples chiffres financiers. Le club, avec son héritage, son prestige et son potentiel de croissance, représentait un investissement stratégique majeur. Les éléments exogènes, bien que pertinents, n'ont pas suffisamment pesé pour contraindre Roman Abramovitch de "brader" le club, et ce malgré l’obligation inopinée de le vendre. Chelsea demeure, aux yeux des investisseurs, un actif de prestige dont la renommée mondiale est inestimable.


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Auteur de l'article : Youcef Nazim Tahari

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